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    "Il y avait une fois un jeune homme un peu désorienté qui dormait à un carrefour, serrant contre son coeur...une guitare. S'éveillant comme je m'approchais, il se mit à genoux et joignit les mains, me suppliant d'accepter son âme en échange de quelques cours... Bon Prince, je lui accordai une petite leçon qui visiblement lui fut profitable : il est devenu depuis l'un des plus grands Bluesmen de son époque..."

    Ainsi me parlait mon Maître un soir au coin du feu, alors que débutait mon apprentissage. Bien sûr, je savais qu'il parlait de Robert Johnson ; ce dernier avait en son temps cru malin de révéler à tout un chacun l'origine de son talent. Cela dit, ne boudons pas notre plaisir ; ledit Johnson et ses alter-ego ont eu une descendance très prolifique sur le plan musical. Et puis le Blues a donné naissance à son enfant terrible et superbe : le Rock !
    Je le fis remarquer au Maître, avec des étincelles dans les yeux et mes doigts frémissant sur mes accords préférés. Lucifer souffla sur les braises pour ranimer le feu mourant ; puis il se tourna vers moi, posant sur mon épaule sa main lourde et brûlante (mon cher mentor oublie toujours que moi, je suis fait de chair ; mais ému par la solennité de l'instant, je passai sur cette marque de sénilité précoce et ne pipai mot).

    "Tu sais, Fiston, murmura-t-il ; je me fais vieux, et j'admets volontiers que j'ai un peu de mal à suivre les derniers développements en matière de musique. Mais toi, tu connais ça sur le bout des doigts, et les petits gars de Black Sabbath ou Metallica qui n'étaient à mes yeux que de grands escogriffes bien sympathiques semblent beaucoup t'inspirer..."

    Je hochai la tête frénétiquement, pressentant la suite :

    "...alors je vais te transmettre ce Don, qui te sera plus utile qu'à Moi. Je te laisse tout pouvoir pour donner leur chance à ces...musiciens ; tu n'auras qu'à faire suivre leurs âmes, et je réceptionnerai".

    Ramenant discrètement le tissus de ma chemise pour cacher mon épaule brûlée, je tremblais d'orgueil et de joie devant cet Honneur inespéré...
     
    -à suivre-
     
     

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    Quand je suis arrivé dans cette ville, j'ai cherché une maison digne de moi. Que diable : je ne suis pas un vulgaire terroriste préparant sa bombe dans un pavillon miteux d'une banlieue pourrie. Non. Le QG où allait se préparer la Fin du Monde devait en imposer. Et puis, je me devais d'impressionner les membres de la S.M.T.V. que j'inviterai chez moi. J'imaginais, je ne sais trop pourquoi, une espèce de Xanadu, avec pinacle, portes majestueuses et une pincée de pseudo gothique... Pas dans le style de la ville. Hélas.

    C'est donc tout à fait par hasard - d'autres y verraient la main du Destin - que j'ai visité la maison où j'habite maintenant. Elle m'a immédiatement séduit et depuis je ne me lasse pas de l'habiter. Comme des cheveux recouvrant le visage d'une adolescente timide, le lierre couvre ses murs, obscurcit ses fenêtres et dissimule ses portes. L'intérieur en est a priori banal : parquet, moulure, cheminée. "A défaut de prestige, voilà bien du charme pour une maison où l'on peut sans rougir inviter une charmante démone pour quelques messes noires" me disais-je. Mais avec le temps j'ai appris peu à peu à comprendre le langage de cette maison, à décrypter le sens caché de ces pièces aux formes étranges, la symbolique dissimulée dans ces moulures irrégulières. J'ai compris le génie extraordinaire qui a façonné ces poignées de portes qu'on a si bien en main et ces courbes merveilleuses qui entre-apparaissent dans les rampes de fer forgé.

    La maison était vide au début ... inhabitée depuis longtemps. C'est en me promenant de long en large dans ses grandes pièces, en explorant ses caves, en guettant par la fenêtre l'hypothétique arrivée du technicien EDF que j'ai véritablement formalisé, théorisé ma pensée : je parlais aux plafonds, j'écrivais sur les murs. La maison restait de marbres au début. Puis lentement, elle est devenue plus réceptive. Les réactions d'une maison sont toujours difficiles à interpréter mais le lent dialogue qui s'instaura entre nous me fût salutaire. Au fur et à mesure de nos discussions, j'affûtais mes arguments tandis que la maison devenait comme une seconde boîte crânienne, entourant mon esprit, conservant mes idées, me rappelant toujours à ma Mission...
     

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  • Ce n'est pas parce qu'on est l'Antéchrist que l'on n'a pas aussi une histoire comme tout le monde, figurez vous. On ne naît pas conscient de ses Pouvoirs, en adressant à la sage-femme un sourire démoniaque. Non non, mon Maître n'est pas si fou, il laisse les choses venir à leur rythme. Car, que Diable, un bon artisan de la Fin du Monde ne se forme pas en 5 minutes...

    Au début, j'étais un bambin "normal" ; un peu solitaire, un peu conscient de sa différence après l'embrasement inexplicable de 2 ou 3 terreurs de la cours de récré qui tentaient de me battre ou la transformation d'une professeur d'anglais en statue de sel à la suite d'un contrôle sur les verbes irréguliers...mais sans plus.

    Avec l'âge vinrent les premières questions ; ces questions stupides qui viennent à l'esprit des adolescents qui se sentent à part ou rejetés. Qui suis-je, pourquoi moi, etc... Et forcément, pas de réponse. La relation avec les autres se transforme en un maelstrom d'incompréhension et de mépris réciproque ... et sans ces signes que j'étais seul à voir, le Diable seul sait où j'aurais été chercher des solutions foireuses. Il en est d'autres dans mon cas qui ne se trouvent jamais, qui craquent, deviennent moine ou se flinguent. Il paraît que j'ai perdu ainsi pas mal de concurrents. Que voulez vous, la sélection est rude... Mais, justement, il y avait ces signes. Tracés à la craie sur les murs du lycée ou dans les coins des tableaux noirs. Dans mes cahiers, aussi. Et puis ces filles que je regardais de loin, sans espoir - quoi, vous n'aviez jamais pensé que l'Antéchrist pût être timide ? - et qui tout à coup se retournaient vers moi - non pas en pouffant bêtement comme deux boutonneuses qui se moquent d'un vilain canard mais un peu intriguées, la prunelle en feu, comme si on leur avait soufflé à l'oreille : "c'est Lui..."

    Ensuite, le Destin a fait le reste ; j'avais lu les bons livres, écouté les bonnes voix. Quand mon Maître me porta la Révélation, je n'en fus - comme il l'avait prévu - même pas surpris.   Le terrain était favorable, mon introspection avait porté ses fruits. Ah, c'est qu'il a de la suite dans les idées, mon bon Maître.
     
    Alors, quand j'ai le cafard, j'endosse mes habits de citoyen lambda et je pars dans la ville anonyme. J'attends sous les néons d'un abribus un hypothétique autocar, je regarde tourner dans une laverie glauque des machines qui ne sont pas les miennes, je m'enfile un diabolo grenadine au comptoir d'un "Café de la Gare"... et je pense à mon Destin. Drôle de truc quand même, le Destin...
     

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