• Le Comité Secret... (1)


    Il y a quelques jours, j'ai découvert un complot à l'échelle mondiale en allant faire mes courses à l'épicerie du coin. Enfin, quand je dis à l'échelle mondiale, c'est pour dire que le phénomène dont je parle est universel ; l'organisation parfaite en cellules indépendantes, dont aucune ne connaît l'existence des autres - moi mis à part évidemment - ça fait rêver... Souvent déjà, la physionomie peu amène du petit vieux qui tient l'épicerie, alors qu'il emballait mes tomates, m'avait parue suggestive ; je m'étais parfois demandé s'il n'ajoutait pas un peu de mort-aux-rats dans le lait destiné aux petits enfants ou dans les friands préparés pour la petite vieille du cinquième. J'avais remarqué aussi l'air sinistre de l'employé, un jeune homme embauché il y a quelques mois pour recharger les bacs à légumes et balayer devant la porte, avec sa façon méprisante de pincer les lèvres quand on avait le malheur de lui sourire ; mais, foi d'Antéchrist (le mot est fort !), j'étais loin de m'imaginer l'ampleur de leurs rancunes et de leur fourbe rêve...

    J'avais compté arriver juste avant la fermeture ; j'arrivai juste après. Ce fut pour moi l'occasion de vouer tous les Saints à l'excommunication ; cependant, comme la porte n'était pas verrouillée, j'entrai quand même. Avec un peu de chance, on accepterait peut-être encore de me servir... Il n'y avait personne dans le magasin ; j'allais me résoudre à appeler lorsque je crus distinguer un vague bruit de voix provenant de l'arrière-boutique. Je risquai un coup d'œil discret derrière le classique rideau de perles qui en masquait l'entrée : il n'y avait là qu'un corridor obscur, au fond duquel se découpait un rectangle de lumière électrique. Une autre pièce. Jugeant ma présence parfaitement justifiable en la circonstance - il me fallait absolument des œufs pour faire une omelette - je passai le Rubicon de perles et m'avançai sans bruit vers le fond du couloir. Le spectacle que je découvris ensuite, dans la petite pièce en contrebas, m'incita pourtant à me taire, et à oublier pour un temps mon projet d'omelette aux piments.

    Le vieil épicier était là, entouré d'une petite assemblée comprenant, outre son aimable employé, un certain nombre d'individus que je reconnus pour partie. Il y avait là, je crois bien, la bouchère et son commis, la pharmacienne revêche du coin de la rue et deux balayeurs municipaux. Pour la plupart, échantillons représentatifs des commerçants les moins aimables de tout le quartier ; bizarrement, ceux qui vous accueillaient avec un sourire niais et des paroles aussi ineptes que convenues (« alors M. Machin, comment allez-vous aujourd'hui ? », « et vos petits enfants ? » ; « ça va cette arthrite, Mme Untel ?» et j'en passe, vous connaissez sûrement la chanson) à l'exemple de la boulangère manquaient à l'appel - en revanche, sa détestable nièce embauchée après l'échec d'un BTS Informatique figurait ici en bonne place. L'épicier trônait au milieu d'eux comme un chef de cérémonie, près d'un lutrin recouvert d'un tissu où l'on pouvait lire : Réunion hebdomadaire de la V.V.S.S. : les Victimes Vindicatives du Système Souriant...

    « ...et enfin, chers collègues, finissait-il de dire quand je fus à même de l'entendre, il est temps de passer au compte-rendu de cette difficile semaine ».

    - A suivre -


    Signé : Cousin Gat'.

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :