• Occultons-nous (joyeusement) ...

    Vous rappelez-vous la fille au glaçon ? Oui, celle de la soirée du Nouvel An, un peu seule au bar, un peu rêveuse. Depuis quelques jours j'ai l'impression de la croiser partout. La dernière fois, c'était à la « Librairie Ancienne et Moderne » du centre ville. Un de mes repaires où je passe chaque semaine de longues heures – mon coté « Sciences Occultes ».

    Elle était pourtant la dernière personne que je m'attendais à voir passer le seuil de cet étouffoir : c'est une longue pièce étroite, sombre et mal chauffée par un vieux radiateur au gaz dont l'odeur et les crachotements semblent promettre à cette boutique, après 60 ans de bons et loyaux services, une mort instantanée dans une explosion dantesque. Le marchand est quasiment aveugle, tout voûté et totalement sourd. Il ne se souvient plus de rien, pas même des prix, et paraît toujours plus menacés par les piles de livres qui de jour en jour, s'élèvent vers le plafonds, emplissent les étagères et s'avancent sur les tables. Une odeur de poussière rance monte des vieilles reliures dont les titres – quand on parvient à les déchiffrer – sonnent comme autant d'épitaphes pour d'anciennes passions.

    J'étais donc dans mon monde, à chercher un ouvrage qui puisse tenir lieu de grimoire. J'avais, pour la énième fois, exploré les méandres non cartographiés de ces étagères où les livres n'obéissaient à aucun autre classement qu'une fantaisie totale. J'avais enfin trouvé ma proie - une reliure impressionnante pour un recueil de quelques lettres d'un diplomate depuis longtemps décomposé – quand, levant les yeux, je vis la fille au glaçon qui, ayant posé négligemment ses gants de laines sur une monographie consacrée à l'architecture des halles aux grains, feuilletait vaporeusement un recueil XIXeme de préceptes aux jeunes filles vierges. Une sueur froide m'envahit les épaules, une giclée d'adrénaline me fouetta le bas du dos et mon esprit se mit à gamberger. Il m'apparut soudain comme une évidence que ces multiples coïncidences qui depuis quelques jours s'accumulaient n'étaient pas le fruit du hasard mais d'un destin, d'une volonté. La sienne ?

    Qui était cette inconnue au glaçon ? Que me voulait-elle ? Pourquoi n'osait-elle ou ne voulait-elle pas m'adresser la parole ? Etait-elle une future adepte attendant désespérément que je m'aperçoive de sa présence ? Quelque ambassadrice narquoise de l'Autre Coté venue porter un message ? Non, non, c'était pire. Il s'agissait certainement d'une amazone guerrière ayant trouvé en moi une lutte à sa hauteur et venue me défier dans l'une de mes tanières. Toute retraite était impossible : la boutique n'avait qu'une seule issue et elle était devant ; Ainsi je m'apostrophais. Dissimulant le tremblement de ma main sous la reliure du diplomate décomposé, faisant mine de déchiffrer, en passant, quelques titres illisibles, je me hâtais lentement vers la sortie, passai derrière la fille en marmonnant un « pardon » inaudible, trouvai la force de payer au marchand - sans m'énerver de sa lenteur - le prix de mon achat et parvins à sortir. Enfin, dehors, le froid, l'air, le soleil. L'Amazone n'avait pas osé engager le combat. Quelle froussarde ! Le cœur plein d'un sentiment de victoire, je partis en sifflotant.

  • Commentaires

    1
    aghilesta
    Mercredi 24 Janvier 2007 à 01:37
    la fille
    parano ? pur coincidence ou alors elle te trouve a son gout lol ,
    2
    Mercredi 24 Janvier 2007 à 11:07
    Bonjour,
    c'est à la taille de ses adversaires qu'on mesure sa victoire. En l'occurence... bravo ;-)
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