• Fort de mes nouveaux pouvoirs, je me mis à la recherche d'un groupe qui en vaudrait la peine. Castings et showcases privés se succédèrent dans un vieux hangar transformé en studio d'enregistrement ; et après quelques tâtonnements - un chanteur ayant un soir quitté la scène en marmonnant que, décidément, nous n'étions pas du même monde...ou quelque chose dans ce goût-là - je finis par tomber sur LA pépite, LE grand coup, le truc qui faisait mouche... Ça aurait pu être un phénoménal succès, oui ; j'aurais pu devenir le producteur du plus puissant, du plus brut et subliminal à la fois, bref du plus infernal groupe de rock de tous les temps, je pèse mes mots... Mais non. Je ne perdrai pas de temps à vous expliquer en détail les raisons de ce fiasco : il me suffira de vous raconter ce qui est arrivé le soir de leur premier - et unique - concert. Vous comprendrez...

    Ils avaient tout pour plaire, ces petits gars ; leurs bouilles un peu tristes d'angelots déplumés auraient tiré des larmes au portier de l'Enfer (qui n'est ni un comique ni un sentimental, je vous assure). Et leur musique... Imposante. Effrénée. Sublime... Imaginez un magma sonore mélangeant allègrement Korn, Iron Butterfly et les White Stripes. Un vrai bonheur (en d'autres termes, sur scène, ils allaient faire un malheur)... Et puis ils s'étaient choisi un chouette nom de groupe de métal : " Tromsö".

    Je leur avais dégotté pour commencer une date dans un bar de ma connaissance, une sorte de 'CBGB' en devenir qui donnait au moins une fois par mois dans le café-concert et produisait des gens pas mal du tout. Je pensais faire d'une pierre deux coups, consacrer à la fois le groupe et l'endroit dans un concert de tous les Diables (sic) qui resterait dans les mémoires ; mais j'étais loin, bien loin de m'imaginer à quel point le résultat dépasserait mes espérances. A côté de ça, l'incident malheureux du concert des Rolling stones à Altamont en 1969 avec les Hell's Angels prendrait des allures de broutille insignifiante ( ce que les politique appellent, en France, un "détail")...

    Comme je n'aime pas faire les choses à moitié, j'avais distribué des flyers et mobilisé tout spécialement une équipe de colleurs d'affiches, loué des colonnes Morris et des encarts dans les journaux. Ah, il allait y en avoir, du monde, à la première de Tromsö. Malheureusement.



    (à suivre)

     


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    "Il y avait une fois un jeune homme un peu désorienté qui dormait à un carrefour, serrant contre son coeur...une guitare. S'éveillant comme je m'approchais, il se mit à genoux et joignit les mains, me suppliant d'accepter son âme en échange de quelques cours... Bon Prince, je lui accordai une petite leçon qui visiblement lui fut profitable : il est devenu depuis l'un des plus grands Bluesmen de son époque..."

    Ainsi me parlait mon Maître un soir au coin du feu, alors que débutait mon apprentissage. Bien sûr, je savais qu'il parlait de Robert Johnson ; ce dernier avait en son temps cru malin de révéler à tout un chacun l'origine de son talent. Cela dit, ne boudons pas notre plaisir ; ledit Johnson et ses alter-ego ont eu une descendance très prolifique sur le plan musical. Et puis le Blues a donné naissance à son enfant terrible et superbe : le Rock !
    Je le fis remarquer au Maître, avec des étincelles dans les yeux et mes doigts frémissant sur mes accords préférés. Lucifer souffla sur les braises pour ranimer le feu mourant ; puis il se tourna vers moi, posant sur mon épaule sa main lourde et brûlante (mon cher mentor oublie toujours que moi, je suis fait de chair ; mais ému par la solennité de l'instant, je passai sur cette marque de sénilité précoce et ne pipai mot).

    "Tu sais, Fiston, murmura-t-il ; je me fais vieux, et j'admets volontiers que j'ai un peu de mal à suivre les derniers développements en matière de musique. Mais toi, tu connais ça sur le bout des doigts, et les petits gars de Black Sabbath ou Metallica qui n'étaient à mes yeux que de grands escogriffes bien sympathiques semblent beaucoup t'inspirer..."

    Je hochai la tête frénétiquement, pressentant la suite :

    "...alors je vais te transmettre ce Don, qui te sera plus utile qu'à Moi. Je te laisse tout pouvoir pour donner leur chance à ces...musiciens ; tu n'auras qu'à faire suivre leurs âmes, et je réceptionnerai".

    Ramenant discrètement le tissus de ma chemise pour cacher mon épaule brûlée, je tremblais d'orgueil et de joie devant cet Honneur inespéré...
     
    -à suivre-
     
     

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    Quand je suis arrivé dans cette ville, j'ai cherché une maison digne de moi. Que diable : je ne suis pas un vulgaire terroriste préparant sa bombe dans un pavillon miteux d'une banlieue pourrie. Non. Le QG où allait se préparer la Fin du Monde devait en imposer. Et puis, je me devais d'impressionner les membres de la S.M.T.V. que j'inviterai chez moi. J'imaginais, je ne sais trop pourquoi, une espèce de Xanadu, avec pinacle, portes majestueuses et une pincée de pseudo gothique... Pas dans le style de la ville. Hélas.

    C'est donc tout à fait par hasard - d'autres y verraient la main du Destin - que j'ai visité la maison où j'habite maintenant. Elle m'a immédiatement séduit et depuis je ne me lasse pas de l'habiter. Comme des cheveux recouvrant le visage d'une adolescente timide, le lierre couvre ses murs, obscurcit ses fenêtres et dissimule ses portes. L'intérieur en est a priori banal : parquet, moulure, cheminée. "A défaut de prestige, voilà bien du charme pour une maison où l'on peut sans rougir inviter une charmante démone pour quelques messes noires" me disais-je. Mais avec le temps j'ai appris peu à peu à comprendre le langage de cette maison, à décrypter le sens caché de ces pièces aux formes étranges, la symbolique dissimulée dans ces moulures irrégulières. J'ai compris le génie extraordinaire qui a façonné ces poignées de portes qu'on a si bien en main et ces courbes merveilleuses qui entre-apparaissent dans les rampes de fer forgé.

    La maison était vide au début ... inhabitée depuis longtemps. C'est en me promenant de long en large dans ses grandes pièces, en explorant ses caves, en guettant par la fenêtre l'hypothétique arrivée du technicien EDF que j'ai véritablement formalisé, théorisé ma pensée : je parlais aux plafonds, j'écrivais sur les murs. La maison restait de marbres au début. Puis lentement, elle est devenue plus réceptive. Les réactions d'une maison sont toujours difficiles à interpréter mais le lent dialogue qui s'instaura entre nous me fût salutaire. Au fur et à mesure de nos discussions, j'affûtais mes arguments tandis que la maison devenait comme une seconde boîte crânienne, entourant mon esprit, conservant mes idées, me rappelant toujours à ma Mission...
     

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  • Ce n'est pas parce qu'on est l'Antéchrist que l'on n'a pas aussi une histoire comme tout le monde, figurez vous. On ne naît pas conscient de ses Pouvoirs, en adressant à la sage-femme un sourire démoniaque. Non non, mon Maître n'est pas si fou, il laisse les choses venir à leur rythme. Car, que Diable, un bon artisan de la Fin du Monde ne se forme pas en 5 minutes...

    Au début, j'étais un bambin "normal" ; un peu solitaire, un peu conscient de sa différence après l'embrasement inexplicable de 2 ou 3 terreurs de la cours de récré qui tentaient de me battre ou la transformation d'une professeur d'anglais en statue de sel à la suite d'un contrôle sur les verbes irréguliers...mais sans plus.

    Avec l'âge vinrent les premières questions ; ces questions stupides qui viennent à l'esprit des adolescents qui se sentent à part ou rejetés. Qui suis-je, pourquoi moi, etc... Et forcément, pas de réponse. La relation avec les autres se transforme en un maelstrom d'incompréhension et de mépris réciproque ... et sans ces signes que j'étais seul à voir, le Diable seul sait où j'aurais été chercher des solutions foireuses. Il en est d'autres dans mon cas qui ne se trouvent jamais, qui craquent, deviennent moine ou se flinguent. Il paraît que j'ai perdu ainsi pas mal de concurrents. Que voulez vous, la sélection est rude... Mais, justement, il y avait ces signes. Tracés à la craie sur les murs du lycée ou dans les coins des tableaux noirs. Dans mes cahiers, aussi. Et puis ces filles que je regardais de loin, sans espoir - quoi, vous n'aviez jamais pensé que l'Antéchrist pût être timide ? - et qui tout à coup se retournaient vers moi - non pas en pouffant bêtement comme deux boutonneuses qui se moquent d'un vilain canard mais un peu intriguées, la prunelle en feu, comme si on leur avait soufflé à l'oreille : "c'est Lui..."

    Ensuite, le Destin a fait le reste ; j'avais lu les bons livres, écouté les bonnes voix. Quand mon Maître me porta la Révélation, je n'en fus - comme il l'avait prévu - même pas surpris.   Le terrain était favorable, mon introspection avait porté ses fruits. Ah, c'est qu'il a de la suite dans les idées, mon bon Maître.
     
    Alors, quand j'ai le cafard, j'endosse mes habits de citoyen lambda et je pars dans la ville anonyme. J'attends sous les néons d'un abribus un hypothétique autocar, je regarde tourner dans une laverie glauque des machines qui ne sont pas les miennes, je m'enfile un diabolo grenadine au comptoir d'un "Café de la Gare"... et je pense à mon Destin. Drôle de truc quand même, le Destin...
     

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         En se consumant, le billet dégageait une fumée légèrement phosphorescente ainsi qu'une étrange odeur soufrée. Toussant, éternuant, je me réfugiai dans la chambre en pestant contre ce conseil ridicule que j'avais eu la bêtise de suivre. Bah, l'Antéchrist n'a pas besoin de chance...  Je m'assis sur le canapé, la tête dans les mains ; tout à coup je me sentais les idées lourdes, lourdes...
     
    Quand je rouvris les yeux, je me trouvais assis à l'extrêmité d'une grande table. Autour de cette dernière, une demi-douzaine de personnes, la tête revêtue d'un capuchon noir sur des costumes bien coupés.

    "Qui êtes vous ?", dis-je, arborant un air impassible qui me paraissait être de circonstance.
    -Ce n'est pas important, répondit l'individu qui me faisait face ; ce qui compte, c'est que Nous savons qui vous êtes.
    -Ah oui ?
    -Pas d'insolence. Nous vous suivons depuis toujours, commentant vos actes et devinant jusqu'à vos moindres pensées. Récemment, nous avons jugé que le moment était venu de vous envoyer notre...émissaire.

    Tout s'expliquait : l'insistance de la fille au glaçon, nos rencontres à répétition... A tous les coups, c'était Elle, l'émissaire. J'en ressentis un brin d'irritation.

    -Et que me voulez-vous ? lançai-je alors, avec ce que j'espérais être de la hargne.
    -Nous vous le dirons en temps utile... La seule question que nous voulons vous poser est la suivante : accepteriez-vous de travailler avec nous ?"
    Poussé par la curiosité, j'acquiescai ; il y eut un rire, puis tout se brouilla...et je me retrouvai dans un sursaut sur le sofa de ma chambre d'hôtel.

    "Les impudents !" pensai-je quelques instants plus tard, en ricanant et me frottant les mains. Que s'imaginaient-ils ? Que l'Antechrist est un pion dont on peut impunément se jouer ? Ah, ils allaient être surpris...
    Comme je me faisais ces réflexions, on frappa. J'allai ouvrir : devant la porte se tenait (mais ça je l'aurais parié), vêtue à l'orientale dans ce qui semblait - mais semblait seulement - être un uniforme du personnel de l'hôtel, portant un petit plateau avec une lettre cachetée et un billet tout semblable au précédent, la fille au glaçon. Sa moue moqueuse me souhaita le bonsoir et elle s'eclispsa au delà du couloir...
     

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