• Kung Hi Fat Choy

    Il ne m'est plus permis de douter : d'autres lisent dans mes pensées, commentent mes actions, m'envoient leurs émissaires. Jusqu'ici ce n'était resté pour moi qu'une idée un peu désagréable aux frontières de mon esprit persuadé de sa Toute-Puissance. Mais il y a quinze jours, quelque-chose s'est passé.

    Je m'étais plongé dans la foule. Une semaine entière à m'isoler au beau milieu du monde pour méditer, certain que nul ne m'aborderait dans cette populace en liesse dont j'ignorais les multiples langues. Je déambulais, silencieux, vaguement distant, parmi les pétards, les masques et les costumes ; cet univers tourbillonnant autour de moi me laissait paisible, stable, reposé. Immobilis in Mobile.

    Vers la fin de la semaine, alors que la foule était plus compacte que d'habitude, une main se faufila dans la mienne, un fugitif regard : la fille au glaçon était là, étrangère comme j'étais étranger. Elle me glissa « Il vous faut le brûler pour avoir du succès. » Puis elle retira sa main, me laissant un billet. Je voulus la rejoindre, elle avait disparu...

    Le soir, de retour à l'hôtel, j'y pensais encore et encore, profondément troublé. Qui était-elle ? Comment avait-elle su...? Mon imagination me jouait-elle des tours ? Je conservais, comme une forme anormale de persistance rétinienne, une image très nette de son regard mutin qui avait croisé le mien. Non, je n'avais pu inventer ça...

    Puis je me souvins, dans un éclair - le tonnerre accompagna-t-il ce souvenir, ou était-ce seulement quelques pétards ? - de ce que sa petite main m'avait confié, et que j'avais enfoui machinalement dans ma poche... Il s'agissait d'une espèce de billet de banque, plié en deux ; il portait, outre les chiffres, des caractères que je ne savais lire. Le mystère, toujours. La phrase qui avait accompagné ce drôle de cadeau me revenait en mémoire : "il vous faut le brûler pour avoir du succès". Elle ne m'avait pas dit à quel genre de succès m'attendre, mais j'avais (ou je croyais avoir) ma petite idée là-dessus.

    Je décidai de passer aussitôt à l'acte, et de mettre le feu à ce fameux billet. J'avisai la cheminée ; mais le feu électrique qui faisait semblant d'y crépiter ne pouvait m'être d'aucune utilité. Il fallut donc se résigner à employer les grands moyens, et improviser un peu ; je sortis sur le balcon, fermai derrière moi la baie vitrée et craquai une allumette de la petite boîte fournie par l'hôtel. La deuxième fut la bonne, et j'approchai la petite flamme vacillante du billet qui tremblotait au vent entre mes doigts...


    (à suivre)

  • Commentaires

    1
    Samedi 10 Mars 2007 à 11:43
    Non, ce n\'est pas Serge...
    Il est à noter que ces billets brûlés montrés sur la photo sont bien évidemment - l'Antechrist ne sachant hélas pas encore changer le plomb en or - des faux grossiers largement distribués dans les milieux autorisés.
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